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contagieuse sur les adolescents, quand l’arrivée du proscrit Montescot fut annoncée pour le prochain dimanche, je passai ma semaine dans une véritable fièvre d’attente imaginative. Il faut croire que c’était là un trait profond de ma nature, car je l’ai ressentie, cette fièvre, aussi ardente, aussi impatiente presque, chaque fois que j’ai dû, plus tard, connaître quelqu’un dont j’admirais le talent, et, presque chaque fois, j’ai ressenti la soudaine déception que m’infligea l’entrée chez le docteur Pacotte du personnage au front duquel j’avais vu distinctement une auréole de martyr. M. Montescot était un homme de trente-cinq ans, qui en paraissait quarante-cinq, avec un pauvre visage pensif et chétif, où se lisait la détresse d’une santé délabrée. Il était petit, avec les épaules voûtées, déjà chauve ; et, quand il souriait, un grand trou noir s’ouvrait dans sa bouche, à laquelle manquaient presque toutes les dents du haut. Une invincible timidité donnait à ses moindres gestes une gaucherie, qu’augmentait encore une myopie très accusée. Il portait un lorgnon toujours instable sur son nez trop court. J’ai su depuis qu’un peu de sang russe courait dans ses veines, et il avait en effet ce type de visage à demi asiatique, large et comme aplati, qui se retrouve chez tant de Slaves. Mais le physicien, qui lui servait d’introducteur après lui avoir servi d’annonciateur, n’avait pas menti : cette physionomie quasi minable se transfigurait quand cet homme parlait. La nature, si capricieuse dans la répartition de ses puissances, lui avait donné un