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simplement épris de leur métier, avaient dû prêter serment au nouveau régime et jurer fidélité au tyran ! Ils se vengeaient de cette inoffensive formalité, en traitant, classiquement, de Tibère et de Néron, le débonnaire César qui rêvait alors aux Tuileries. Ils célébraient pêle-mêle comme des prophètes tous les dangereux ou grotesques utopistes du socialisme révolutionnaire : — les Fourier, les Saint-Simon, les Proudhon, les Louis Blanc. Ces hommes d’études, ces fonctionnaires, ces bourgeois déploraient que le gouvernement de février eût manqué de l’énergie Terroriste, — le tout entre deux placides corrections de devoirs, s’ils enseignaient au lycée, entre deux examens de baccalauréat, si c’était à la Faculté. A cette époque-là, mon imagination d’enfant, nourrie du De Viris, me faisait trouver ces propos sublimes et ces caractères grandioses. Leur comique attendrissant m’amuse à distance ; et je revois, l’un après l’autre : — l’agrégé d’histoire, M. André, dit le Barbare, à cause de la thèse qu’il préparait sur Théodora ; — son homonyme M. André, le physicien, dit André phi, pour le distinguer de l’autre ; — M. Martin, l’helléniste irrévérencieusement surnommé le Badaud. — Je revois surtout l’alter ego de mon vieil oncle, le docteur Léon Pacotte, le professeur d’accouchement à la Faculté de médecine — celui de qui me vient ce talisman contre l’envie, ce petit Hermès Sauveur. Ce docteur, très âgé à cette date (il avait déjà soixante-dix ans), me reste dans la mémoire comme une apparition fantastique, tant il était long et