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Mon erreur, qui fut celle de tant d’autres jeunes gens égarés par une précoce ambition d’écrire, consistait à faire de la littérature un but, au lieu qu’elle n’est qu’un résultat. Je voulais composer des romans, et je n’avais rien observé ; des vers, et je n’avais rien senti. Le grand service à me rendre était de me tirer du milieu tout artificiel, tout livresque, où je m’étiolais, pour me montrer de l’humanité simple et besogneuse, de la vie, humble et terre à terre, mais vraie. Ce service, Eugène me le rendit deux fois, et sans s’en douter : par ces salutaires visites à la Pitié, d’abord ; et puis, en me faisant pénétrer dans l’intérieur de sa famille, cet original et mystérieux intérieur dont je ne perçus longtemps que le pittoresque. Le mystère ne m’est apparu qu’après. Les vieux Corbières habitaient avec leur fils, au second étage d’une très vieille maison d’une très vieille rue du quartier du Panthéon. Cette rue, qui s’appelait jadis rue du Puits-qui-parle, n’a de moderne, — et quelle modernité ! — que son nom plus récent de rue Amyot. Rien ne semble y avoir bougé depuis l’époque reculée où florissaient le collège des Ecossais et celui des Irlandais, tout voisins, et dont l’inscription frontale existe encore. Quand j’y vais parfois en pèlerinage, je retrouve l’endroit tel qu’il était voici vingt-cinq ans. Le pavé inégal où les fiacres se hasardent rarement, s’encadre toujours d’une verdure provinciale. Des branches d’arbres y dépassent toujours des murs de jardins, et les concierges y tiennent toujours sur le trottoir, avec les locataires des rez-de-chaussée, leurs longues