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Et tu as été tentée d’en reporter la faute à ta mère. Ne dis pas non… Mais, regarde-moi. » Et, prenant les deux mains de sa fille, il la força de le regarder, en effet, fixement, les prunelles dans les prunelles, et toutes les fiertés d’une âme généreuse, en qui s’exalte la conscience de ce qu’elle a voulu, éclairèrent soudain le visage de ce grand amoureux : « Tu peux me lire jusqu’au fond du cœur, mon enfant. Je suis sincère avec toi, comme je le serais devant la mort. Non, je n’ai pas manqué ma vie. Quand, à vingt ans, j’ai souhaité d’être un poète, qu’est-ce que j’ai entendu par là ? D’avoir de beaux rêves et de les réaliser. Hé bien ! j’ai eu le plus beau des rêves, et je l’ai réalisé, puisque j’ai épousé la femme que j’aimais, qu’elle a été heureuse par moi, et que je t’ai, ma fille… Le bonheur de ta mère, voilà mon œuvre… » Puis, comme s’il eût eu peur de sa propre émotion et des choses qu’il avait commencé de dire sur lui-même, il hocha la tête, et, avec un sourire tremblant, il ajouta, sur un ton familier d’ironie professionnelle : « Pas toute mon œuvre.. Ce n’en est que le premier volume. Il y a le second : ton bonheur à toi… Aide-moi à donner le bon à imprimer… Et puis connais-tu, dans toutes les littératures, beaucoup de livres qui vaillent ces deux-là ?… »