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jamais connue sur cette physionomie d’ordinaire si placide, et il lui disait, d’une voix tout ensemble affectueuse et dominatrice, où elle sentit, avec une surprise encore accrue, une autorité qui n’admettait pas la réplique : — « J’allais te chercher, Mathilde, pour t’amener auprès de cette grande fille qui n’a pas eu confiance en nous, qui n’a pas voulu comprendre que nous ne désirons que son bonheur, et que si nous lui avons parlé de ce projet de mariage avec le fils Faucherot, c’est que nous croyions que son cœur était libre… Et elle vient de m’avouer qu’il ne l’est pas, qu’elle aime son cousin Charles et qu’elle en est aimée !… Et cet autre grand enfant de Charles, qui n’avait pas osé venir nous parler, à toi et à moi, et nous dire : « J’aime Reine ! » — A-t-on une idée d’une sottise pareille ?… Si je n’avais pas vu Charles aujourd’hui, si je ne lui avais pas arraché cet aveu, à lui d’abord, à elle ensuite, nous n’aurions rien su. Comprends-tu qu’elle nous aurait fait cela, à toi et à moi, à toi, sa mère, et à moi, son père, de se marier contre son cœur ?… Allons, Reine, embrasse ta mère, et demande-nous pardon, à tous deux, d’avoir douté de nous, quand nous t’avons suppliée nous-mêmes, ce matin, de prendre quelques jours de plus pour réfléchir et nous répondre. Tu voyais bien que nous voulions te laisser libre, que tu étais la maîtresse absolue de ton choix… Est-ce vrai, pourtant, Mathilde ? » — « Reine a toujours été libre », répondit la mère, littéralement suffoquée de ce qu’elle entendait, «