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que le remords de n’avoir pas deviné le tien… Mais ce cœur m’est transparent maintenant. La raison qui t’empêche de vouloir épouser celui que tu aimes, cette raison que Charles a implorée de toi et que tu n’as pas voulu lui avouer, je la sais aussi. C’est nous, cette raison, c’est notre situation… Tu t’es dit : « Si j’épouse Edgard Faucherot, je serai riche, et mon père travaillera moins… » Avoue que tu t’es dit cela ? Tu es comme ta mère. Tu t’inquiètes de me voir tant écrire. Mais c’est ma vie, à moi, d’écrire. Je suis un vieux cheval qui trottera jusqu’à la fin, et si je me reposais, je mourrais. Ce qu’il me faut, ce n’est pas de moins écrire, c’est de pouvoir me dire, assis à ma table : «  Ma petite Moigne est heureuse… » Et quant à nos dettes… » Il épiait la physionomie de sa fille, en prononçant ces mots, pour lui terribles. Si Reine ne tressaillait pas, d’un sursaut de dénégation, c’est qu’ils avaient, en effet, des dettes et qu’elle le savait. Elle tressaillit bien, mais de surprise, et sans oser répondre non ; et le père continuait, imaginant, pour convaincre son enfant, une de ces ruses qui ne seront certes pas inscrites là-haut, au livre des péchés : « Quant à nos dettes, je n’aurai même pas besoin de travailler davantage pour les régler… On m’a demandé, ces temps derniers, d’acheter mes deux fermes de Chevagnes… » Elles étaient, depuis des années, aussi fortement hypothéquées que le permettait leur valeur ! « Je n’en aurai plus besoin », continua-t-il, « à présent que j’aurai une campagne où me retirer quand je serai vieux, près de toi, là-bas, en Provence.