Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/274

Cette page n’a pas encore été corrigée

des mains frémissantes, se sentait plus ému encore par cette vision de la gracilité de son enfant. Il éprouvait devant elle cette espèce d’apitoiement sans analogue, qui fait d’un père et d’une mère les esclaves passionnés des moindres volontés d’une créature dont la délicatesse leur semble si exposée, si blessable ! Ils voudraient alors, au prix de leur propre vie, lui épargner la moindre souffrance, le moindre froissement. Le spectacle d’une peine infligée à cet organisme fragile leur est une douleur, presque physique, et qui les atteint eux-mêmes au point le plus intime. C’est ainsi qu’en voyant le visage de Reine se décomposer soudain et pâlir, à la lecture de la lettre où Charles lui demandait pardon, ses yeux se fermer, sa tête s’en aller sur l’oreiller, dans le demi-évanouissement d’une impression trop forte, Le Prieux fut saisi d’une épouvante qui le fit s’élancer et prendre sa fille dans ses bras, et il lui serrait les mains, et il lui baisait le front en lui disant : — « Reine, reviens à toi. Reine, Reine !… Maladroit et brutal que je suis !… Moi qui croyais que tu allais être heureuse, me sourire !… Ma fille ! Ma fille !… Souris-moi. La joie t’a fait mal… Ah ! tu ouvres les yeux, tu me souris… Merci… Mais comment as-tu pu garder ce secret sur ton pauvre cœur ? L’autre matin, quand ta mère t’a parlé, pourquoi ne nous as-tu pas dit : « J’aime Charles et Charles m’aime ? » Enfin, c’est passé… Souris-moi encore. Il demande ta main. Tu l’épouseras… Pourquoi secoues-tu la tête ainsi ?… » — «