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Le Prieux, pareil sur ce point à tous les chefs de famille, ne savait que par à peu près le détail des dépenses de toilette de sa femme et de sa fille. Par une invincible association d’idées, il se demanda soudain : « Quel peut bien être leur budget exact ? » Et tout d’un coup, voici qu’à travers ce calcul mental, une hypothèse inattendue apparut devant son esprit, qu’il essaya d’écarter, mais en vain : « Mon Dieu ! pourvu qu’elle n’ait pas été entraînée à faire des dettes, qu’elle n’aurait pas osé me dire ? Pourvu qu’elle n’ait pas d’obligations à Mme Faucherot ? Pourvu que ce ne soit pas là cette raison, et de son désir de ce mariage, et du consentement de Reine ?… Non, ce serait trop affreux… Mais ce n’est pas !… Ce n’est pas !… » On le voit, l’espèce de travail inconscient qui s’accomplit dans l’esprit sous l’influence des sentiments très intenses, et qui est leur vie secrète et profonde, avait conduit ce mari, de caractère bien peu inquisiteur, tout près de la vérité. Il « brûlait », comme disent si joliment les enfants qui jouent à cache-cache. Cette divination allait lui rendre plus douloureuse l’exécution du plan dont il avait parlé à Charles, et qui se réduisait à ceci : remettre la lettre du jeune homme à Reine, et arracher, à la première émotion de celle-ci, un aveu et un consentement. Il lui resterait à vaincre les objections de sa femme. C’était pour cela qu’il avait voulu garder la petite dépêche bleue de sa fille. Même après tant de signes accusateurs, il ne doutait pas, il ne voulait pas douter de Mathilde : en présence d’une