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rdin, comme en songe. Il reconnut le trottoir qu’il avait tant suivi, jadis, la station d’omnibus, les boutiques, celles-ci changées, celles-là non. Il avait l’habitude, lors de ses débuts littéraires, d’aller lire les journaux dans un des cafés qui avoisinent l’Odéon, et il s’y dirigea, sans bien s’en rendre compte, comme si, dans les minutes d’extrême désarroi intérieur, les mouvements s’accomplissaient en nous, presque tout seuls. Par hasard, l’endroit était demeuré le même. Décoré jadis par des peintres qui avaient ainsi payé des arriérés de petits verres et de demi-tasses, il montrait, dans ses profondeurs, quatre panneaux disparates représentant : l’un, une Vénus sortant des eaux ; l’autre, l’agonie d’un cerf dans un hallier ; un troisième. Pierrot regardant la lune ; un quatrième, une fille du quartier Latin. Le bohémianisme de cette taverne enfumée ne contrastait pas moins avec le délicat roman de Reine et de son cousin qu’avec les habitudes de haute tenue où la « belle madame Le Prieux » faisait vivre Hector. Mais, pour celui-ci, le rayonnement de sa propre jeunesse illuminait ce rendez-vous de rapins et d’étudiants. Il prit place à une table d’angle, libre en ce moment, sans même remarquer l’attention qu’excitait, parmi les habitués et habituées du lieu, tous et toutes passablement débraillés, la présence d’un homme de cinquante ans passés, vêtu comme un président de Conseil d’administration, le ruban de chevalier de la Légion d’honneur à la boutonnière, et qui demandait de quoi écrire. Il libella ainsi, d’une main rapide et délibérée, sur ce papier