Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/251

Cette page n’a pas encore été corrigée

avait remonté de la rue des Beaux-Arts, par les rues de Seine et de Tournon, perdu dans ses pensées, et laissant ses pas suivre machinalement le chemin suivi jadis si souvent, alors qu’en proie à l’inconsciente nostalgie des chênaies de Chevagnes, il venait, au jardin du Luxembourg, chercher une sensation de nature, regarder des arbres et songer. Il franchit la grille qui ouvre à côté du musée, et il se trouva tout de suite à l’extrémité de cette allée de vieux platanes où se voit le monument du pathétique et puissant Eugène Delacroix. Ces beaux arbres, ses préférés autrefois, érigeaient, sur le ciel glacé de cette après-midi, leurs énormes branches dépouillées. Et comme si, au contact de ces muets témoins de sa jeunesse, le poète mort jeune se réveillait en lui, le journaliste se prit à penser avec un attendrissement indicible à la fuite ininterrompue du temps, à cette succession des étés et des hivers, des feuillages et des hommes. Des vers de Sainte-Beuve, oubliés depuis longtemps, et dont il avait raffolé, lui revinrent à la mémoire et aux lèvres : «  Simonide l’a dit, après l’antique Homère :

Les générations, dans leur presse éphémère,
Sont pareilles, hélas ! aux feuilles des forêts
Qui verdissent une heure et jaunissent après, 

Qu’enlève l’Aquilon, et d’autres, toutes fraîches, Les remplacent déjà, bientôt mortes et sèches… » Il l’avait récitée à cette place, cette divine élégie du plus méconnu de nos grands lyriques, quand il était lui-même dans la verdeur de la vie, dans cet