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Le Prieux, et je sais que cette démarche n’est pas dans ma position… » Puis, comme pour prévenir toute enquête : « Ne m’interrogez pas, je ne pourrais pas vous répondre… Je ne le devrais pas. Je ne devrais déjà pas être ici. Mais il s’agit de mademoiselle Reine, qui a toujours été si bonne pour moi et que j’aime tant… Il y a une chose qu’il faut que vous sachiez, monsieur Le Prieux, il le faut, » répéta-t-elle. « Si Reine fait le mariage que vous voulez lui faire faire, elle mourra de chagrin… Elle aime quelqu’un. Ne me demandez pas le nom, » reprit-elle, avec plus de volubilité encore : « je ne vous le dirais pas… Mais ne la forcez pas à se marier contre son cœur… Je vous répète qu’elle en mourra de chagrin… Ah ! mon Dieu ! Ce sont ces dames !… Elles vont me voir !… Monsieur Le Prieux, que jamais Reine ne sache que je vous ai parlé !… Jamais, jamais !… » Et laissant son interlocuteur littéralement paralysé de surprise sur l’angle du trottoir, elle s’enfuit sans se retourner, par la rue de Lisbonne, comme une personne qui viendrait de commettre une abominable action. Elle avait aperçu le coupé, tout à l’heure immobile, se mettre en branle devant la porte cochère de la maison, à cinquante pas, et venir dans leur direction, et avant que le père de Reine, qui s’était retourné vers le haut de la rue à cette exclamation : « Ce sont ces dames !… », eût entièrement repris ses esprits, la voiture passait en effet devant lui. Le cheval allait au pas. Le Prieux vit que le coupé était vide, et