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qui contrariait, à ce degré, toutes ses idées sur elle. Puis, comme Mme Le Prieux était là, rayonnante, et qu’une autorité si impérative émanait d’elle, à peine cet homme faible trouva-t-il l’audace de répondre : « Mais est-elle bien sûre d’avoir assez réfléchi ? Voyons, Reine, tu ne désires pas t’interroger encore ? » — « Je me suis interrogée, » dit Reine, « et j’ai bien réfléchi… » — « Tu ne veux vraiment pas quelques jours de plus ?… » insista-t-il. — « Je les lui ai offerts, » fit Mme Le Prieux, qui ajouta, en s’adressant à la jeune fille : « Ton père a raison. Nous serions encore plus rassurés si tu prenais ces quelques jours de plus. » La perspicace femme était trop certaine de la réponse de Reine, qui secoua sa tête et répliqua fermement : — « A quoi bon ? Vous l’avez dit vous-même, maman, le plus tôt sera le mieux… » Jamais un père et une enfant qui s’aiment de tout leur cœur n’échangèrent plus froid baiser que celui par lequel Hector Le Prieux et Reine scellèrent cette espèce de pacte, si émouvant d’ordinaire, lorsqu’une fille, pressentie sur une demande en mariage, répond à ses parents qu’elle consentira ! Jamais repas de famille, pris dans des circonstances qui doivent être si heureuses, ne fut plus taciturne, plus pénible, plus chargé d’un indéfinissable malaise que celui qui suivit ! Jamais, depuis qu’il traînait le poids de toutes ses ambitions écrasées, de son Idéal déçu, de sa destinée manquée, le journaliste