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comme signature, à l’imitation de l’étiquette du faubourg Saint-Germain, qui accole la noblesse de la femme à celle du mari ! A voir sa mère ainsi, pareille à ce qu’elle l’avait toujours connue, continuant de pratiquer les moindres rites de son rôle mondain avec la rigueur automatique d’une machine montée, et sans rien soupçonner des catastrophes morales accomplies autour d’elle, Reine eut de nouveau l’impression du froid au cœur qu’elle avait tant subie, — d’autant plus forte qu’elle savait maintenant l’existence de la lettre de la mère de Charles… Mais, qu’était ce frisson de sa sensibilité froissée, auprès de l’affreuse douleur dont elle était encore bouleversée, et qui venait, dans cette courte demi-heure, entre les Tuileries et la rue du Général-Foy, de provoquer en elle une véritable crise de délire intime ? De quel autre nom appeler la frénésie de chagrin qui l’avait fait, durant ces trente minutes, prendre la folle résolution — devinée par Fanny Perrin — d’en finir, pour toujours et tout de suite, avec ce cruel, cet injuste Charles, et de mettre entre eux quelque chose d’à jamais irréparable ? Le langage familier a créé la très exacte formule de « coups de tête » pour ces violentes poussées en avant de la volonté, si fréquentes dans la jeunesse, à l’âge où les énergies de la passion étant plus intactes et plus intenses, l’âme dévie, quand elle se heurte à certains obstacles, tout d’une pièce. Et trop souvent, hélas ! c’est bien à jamais, c’est pour toujours. Ce quelque chose d’irréparable, le mauvais sort de Reine voulait qu’elle l’eût à sa portée.