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faits l’un pour l’autre ? Il l’aime et elle l’aime. C’est trop évident… Ah ! si M. Le Prieux savait les sentiments de Reine ! C’est un si brave homme, lui… Serait-ce mal de lui dire la vérité ?… » Et déjà un vague projet s’ébauchait dans l’imagination de la vieille demoiselle, aussi romanesque, malgré sa laideur, que pouvait l’être Reine elle-même, — l’insensé projet de prévenir le père. Oui, si elle allait lui dire qu’en empêchant l’union de Charles Huguenin et de sa fille, il faisait le malheur de celle-ci, trahirait-elle la confiance de Reine ?… Le prévenir ?… Mais quand et comment, pour que ce ne fût pas trop tard ? Toutes les femmes, si naïves puissent-elles être, et si peu féminines, ont une intuition, infaillible comme un instinct, lorsqu’il s’agit d’une aventure d’amour. Mlle Perrin ne savait ni le nom d’Edgard Faucherot, ni les paroles échangées entre Reine et sa mère, ni la démarche de Mme Huguenin. Elle ignorait toutes les données secrètes de ce drame de famille, et les ambitions de Mme Faucherot, et les dettes de Mme Le Prieux, et les courtages de Crucé. Pourtant elle devinait, au point d’en éprouver une anxiété presque insupportable, que non seulement les journées, mais les heures, mais les minutes étaient comptées… Et c’était trop vrai qu’à cet instant même où, arrêtée sur le trottoir, elle regardait les fenêtres à menus carreaux Louis XVI des Le Prieux, déjà un événement tout voisin d’être irrémissible s’accomplissait dans une des pièces éclairées par une de ces fenêtres à petits