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de redescendre l’escalier somptueux de la maison, un silencieux escalier avec une cage de bois sculpté, des vitraux, des plantes vertes, un tapis rouge, la tiède atmosphère partout d’invisibles bouches de calorifère, de quoi donner l’impression d’hôtel privé qui faisait nécessairement partie du programme mondain d’une « belle madame Le Prieux ». D’ordinaire, ces splendeurs de pacotille en imposaient à la maîtresse de piano, qui subissait, elle aussi, à sa manière, le prestige du luxe des autres. Mais, en cet instant, tout entière à la scène dont elle venait d’être le témoin, elle ne songeait plus à comparer mentalement les froids carreaux de son cinquième des Batignolles aux moelleuses épaisseurs des marches, où ses pieds posaient avec respect, presque avec componction. Elle se disait : « Avec qui peut-on vouloir marier Reine ?… » Elle repassait, en esprit, les divers jeunes gens du salon Le Prieux qu’elle connaissait, soit par les récits de la jeune fille, soit pour avoir plus ou moins rempli des fonctions de promeneuse ou de donneuse de leçons dans cette société. L’image de Charles se peignait entre vingt autres dans sa pensée, pour finir par se superposer à toutes. Elle le revoyait tel qu’il s’était avancé au-devant de Reine sur la terrasse du bord de l’eau, tout à l’heure, le visage ému et rayonnant, les yeux clairs, puis, à la fin de l’entretien, son profil irrité, ses prunelles dures, son geste menaçant, et elle raisonnait : — « Séparés ? Ces deux beaux enfants si bien