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d’elle exaspérait tout son être. Quel était ce mystérieux motif de rupture, assez puissant pour que cette fragile créature qu’il avait vue si à lui, si touchante d’abandon, l’autre soir, se fût soudain reprise ainsi ? A la première minute, il avait pensé qu’il s’agissait de quelque scrupule religieux. Quoique chez Reine, nature tout équilibre, toute mesure, la piété ne se fût jamais exaltée jusqu’à la dévotion, qui sait si elle n’avait pas, dans la ferveur de la quinzième année, fait quelque vœu, dont elle s’était tout d’un coup souvenue ? Mais non. Elle n’aurait pas eu, à confesser un motif pareil, cette évidente terreur… Charles continuait de la regarder, et voici que l’affreux soupçon, qui s’était présenté à lui dans un éclair et qu’il avait repoussé, recommença de l’assiéger : « Si elle en aimait un autre ?… » Soupçon insensé, car elle venait de lui dire le contraire, et tout en elle attestait la véracité : ses paroles, sa voix, son regard ; — soupçon abominable, car si Reine en aimait un autre, son attitude avec son cousin, l’autre soir et maintenant, était la plus scélérate des coquetteries, et quand lui avait-elle donné le droit de la croire même capable d’un mauvais sentiment ? Hélas ! Les imaginations insensées et abominables sont celles que la jalousie éveille en nous le plus instinctivement, et sa funeste ivresse ne nous permet d’en reconnaître ni la folie ni l’injustice. Que ce soit l’excuse de Charles Huguenin pour avoir, ne fût-ce qu’une heure, méconnu l’adorable enfant qui marchait auprès de lui sur cette terrasse du bord de l’eau ! Le gravier glacé