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existence quotidienne se transformaient aussitôt en problèmes de pensée, et ce fait divers devint pour lui une crise de responsabilité vraiment tragique. A-t-il regardé d’un regard très lucide la situation où il se trouva pris ? A-t-il donné à des événements, par eux-mêmes douloureusement singuliers, une signification par trop arbitraire, et résolu dans le sens d’un scrupule excessif une difficulté d’ailleurs bien cruelle ? Pour moi, qui fus un témoin troublé de cette aventure, j’ai traversé à l’égard de mon ami et du parti où il s’est rangé deux états successifs et très différents. A l’époque où les événements dont je vais faire le récit se déroulaient, j’avais adopté comme un indiscutable axiome qu’il n’y a pas dans la nature trace de volonté particulière. Je ne croyais donc en aucune manière à cette logique secrète du sort que les chrétiens appellent la Providence et que les positivistes définissent par la formule, non moins obscure, de justice immanente. La tragédie où mon ami crut voir la révélation d’une force vengeresse, toujours prête à atteindre le criminel dans les conséquences imprévues de son crime, m’apparut comme un des innombrables jeux du hasard. Aujourd’hui l’expérience m’a trop souvent montré combien est exact le « Tout se paie, » de Napoléon à Sainte-Hélène, par quels détours le châtiment poursuit et rejoint la faute, et que le hasard n’est le plus souvent qu’une forme inattendue de l’expiation. J’incline donc à croire avec Eugène Corbières, — c’était le nom de mon camarade, — que le drame auquel ces trop longues réflexions