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civique et la psychologie, entre les constructions de sa philosophie et les réalités nationales. Un tel problème n’était pas à la portée de nos vingt ans. Nous voyions, d’un côté, la France atteinte profondément. Nous sentions la responsabilité qui nous incombait dans sa déchéance ou son relèvement prochains. Sous l’impression de cette crise, nous voulions agir. De l’autre côté, une doctrine désespérante, imprégnée du déterminisme le plus nihiliste, nous décourageait par avance. Le divorce était complet entre notre intelligence et notre sensibilité. La plupart d’entre nous, s’ils veulent bien revenir en arrière, reconnaîtront que l’œuvre de leur jeunesse fut de réduire une contradiction dont quelques-uns souffrent encore, quoique la vie ait exercé sur eux aussi son inévitable discipline, qui consiste à nous faire accepter de telles antithèses comme la condition naturelle des âmes modernes. Elles sont composées d’éléments trop disparates pour jamais se simplifier entièrement.

Etrange jeunesse, et dont les plus vifs plaisirs étaient des discussions d’idées abstraites ! Sur le point d’en rapporter un épisode, il m’a semblé qu’il fallait lui donner sa tonalité morale par ce rappel des conditions d’anxiété intellectuelle où nous grandissions. Le drame de famille que je veux conter ne serait par lui-même qu’un fait divers, peut-être un peu moins banal que beaucoup de faits divers. Mais celui de mes amis qui en fut le héros et la victime avait à un très haut degré ce caractère commun à notre génération : les problèmes de son