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le commença de connaître l’autre souffrance, celle de sentir si courts, si comptés, les instants qui la séparaient du rendez-vous fixé à Charles. Encore douze fois, onze fois, dix fois, neuf fois soixante minutes, il serait onze heures du matin, et elle serait en face de son cousin. Que lui dirait-elle ? Couchée dans son petit lit, toute lumière éteinte, elle écoutait le battement de la pendule remplir la chambre de cette sonorité implacable qui est comme le pas invincible du Temps, et elle s’efforçait de prononcer en pensée les phrases qu’elle prononcerait demain de vive voix dans ce pénible rendez-vous. Plus elle en cherchait les termes, plus elle se trouvait impuissante à y mettre ce qu’elle voulait y mettre : — tout son amour, et c’était un adieu, — toute sa fidélité, et c’était une rupture, — toute sa peine, et son devoir absolu était de cacher son sacrifice ! Elle s’endormit, très tard, après avoir beaucoup prié, d’un sommeil fiévreux d’où elle se réveilla plus calme. La nécessité d’agir, en tendant ses nerfs, lui rendit, comme il arrive, momentanément, un peu de ton. Elle voulait donner son coup d’œil du matin au cabinet de travail de son père, assez tôt et assez vite pour ne pas se rencontrer avec lui. Elle tremblait, s’il lui parlait, de n’être pas maîtresse d’elle-même et de se trahir, avant que l’irréparable ne fût accompli. Elle s’arrangea pour passer, en effet, sa revue quotidienne, si rapidement que Le Prieux ne la trouva pas, quand il vint s’asseoir à son bureau, un peu avant l’heure accoutumée. Oh ! les malentendus des