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du peu de gentilhommerie de Saki Wismar, le grand banquier. Reine trouverait cette pitié doucement comique, si l’une de ces cinq personnes n’était pas la femme de son père, et si elle ne savait pas ce qu’elle sait sur leur budget… Elle n’a pas le temps de s’abandonner à cette impression pénible, car elle vient d’entendre Mme Molan, près de qui elle s’approche pour lui demander si elle veut une seconde tasse de thé, dire à son intime amie, Mme Fauriel : — « Tiens, Laurence, voilà Snobinette qui arrive, et la duchesse qui s’en va avec la comtesse !… Tableau !… » — « Marie, Marie, tu vas te faire gronder par Reine, » répond Mme Fauriel. « Elle a un faible pour Mme Faucherot… » C’est la mère d’Edgard qui vient, en effet, d’entrer et comme pour justifier aussitôt la petite raillerie de la fine Laurence Fauriel, elle se fraie passage, à travers les groupes dont le bavardage emplit de son bruit les deux pièces, pour parvenir jusqu’à Reine. Elle l’embrasse, et la pauvre fille se sent comme glacée sous ce baiser. Elle a trop de finesse elle-même pour ne pas se rendre compte que Mme Fauriel est très contrariée qu’elle ait entendu la peu spirituelle épigramme de son amie. Pourquoi, sinon que le projet de son mariage avec Edgard est déjà connu et commenté ? Et puis, la mère d’Edgard a dans sa soudaine tendresse pour elle une espèce de prise de possession, et cette idée fait courir dans ses veines le frisson