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même, avec la belle rigidité de conscience sentimentale de la vingtième année, eût qualifié de monstrueux, si elle l’avait su d’une amie, — sans en connaître le motif réel, et, ce motif réel, il fallait à tout prix qu’il restât ignoré de tous, et surtout de Charles. Quand une promesse solennelle ne le lui eût pas interdit, toutes ses piétés familiales, toutes ses pudeurs d’âme aussi se révoltaient, à la pensée d’initier celui qu’elle aimait, à ce douloureux secret de sa famille, au martyre caché de son père, aux façons de sentir de sa mère. Elle continuait de ne pas les juger, ces façons de sentir de Mme Le Prieux, même à cette heure, mais elle n’avait aucun doute sur le jugement qu’en porterait Charles… Mon Dieu ! Si elle ne lui confessait pas cela, — et elle eût préféré mourir, — comment lui expliquer sa conduite sans qu’il la jugeât, elle aussi, bien sévèrement ? Que lui dire ?… Qu’elle avait réfléchi et qu’elle ne l’aimait plus ? Après leur entretien du bal, si récent, et où elle s’était si simplement ouverte, il ne la croirait pas. Et puis, quelque chose en elle protestait contre cette calomnie de son propre cœur. Les êtres jeunes n’ont le respect scrupuleux de leurs émotions que parce qu’ils en ont aussi l’orgueil. Et cet orgueil trop légitime, ce besoin de se montrer dans la vérité de ses sentiments profonds, sans en révéler l’inavouable principe, finit, après une longue et douloureuse méditation, par inspirer à la romanesque enfant le plus naïf et le plus audacieux des projets, le moins raisonnable et le plus touchant : oui, elle