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un petit remords, et le travail correspondant, en comparaison des quarante mille francs avoués par Mme Le Prieux, et du nombre effrayant de pages qu’il faudrait noircir pour les gagner ? Reine les supputait de nouveau, ces pages, dans la solitude de sa chambre, et elle en demeurait d’autant plus écrasée qu’elle connaissait bien la probité scrupuleuse de son père. Elle savait que du jour où il apprendrait la vérité, il n’aurait plus de repos, avant d’avoir vu le dernier timbre de quittance posé sur la dernière facture. Et il dépendait d’elle que cet arriéré se liquidât tout naturellement !… Où aurait-elle trouvé la force d’hésiter, fût-ce un moment ?… Aux irréfutables raisonnements que lui avait faits sa mère, et qui lui montraient, dans l’opulence de son futur ménage, un soulagement quasi-quotidien pour ses parents, que répondre ? Rien, sinon que son cœur l’entraînait d’un autre côté ? Toute la question était donc posée entre son bonheur à elle, et leur bonheur à eux, et, quand une âme généreuse de vingt ans aperçoit un pareil dilemme, elle l’a d’avance résolu. Mais, renoncer au bonheur, ce n’est pas perdre le droit de pleurer, de se pleurer, et ce sont ces larmes de suicide qui mouillaient le visage de Reine, dans la virginale cellule où elle avait eu, pour compagnes de sa solitude, tant de naïves, de si douces imaginations d’avenir, et où elle s’était réfugiée, non pas pour discuter avec elle-même, mais pour souffrir… Et elle pleura, pleura silencieusement, — combien de temps, elle n’aurait su le dire, jusqu’à un moment où une idée se présenta