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de mystérieux volumes, un peu hauts, avec des dates imprimées simplement sur leur dos. Ils contenaient, découpés et collés sur des feuilles reliées ensuite année par année, ceux des articles du journaliste que la naïve idolâtrie de Reine lui avait fait admirer particulièrement !… Parmi toutes ces pauvres choses : vieilles photographies passées, vieux meubles provinciaux, livres aimés, chez elle enfin, combien l’enfant sacrifiée se retrouvait vraiment misérable et abandonnée ! Dans quel inexprimable abîme de détresse elle avait tout d’un coup roulé, avec cette instantanéité dans la soumission qui venait du point où sa mère avait su la toucher ? Seule avec elle-même, comme elle se sentit de nouveau dominée par un devoir qu’elle était incapable de seulement discuter ? Quand le principe constant de ses émotions avait été, depuis des années, une pitié chaque jour plus endolorie pour l’esclavage sous lequel étouffait son père, comment eût-elle pu entrevoir une chance de soulager cet esclavage, et la repousser ? Et c’était mieux qu’une chance, c’était une certitude. Tandis que sa mère lui parlait, le chiffre des dettes, qui lui était ainsi révélé, s’était, immédiatement, traduit, dans sa pensée, par la quantité de besogne que le journaliste devrait entreprendre pour les payer. Elle avait si souvent fait de ces traductions mentales, quand sa mère l’emmenait chez sa couturière ou chez la modiste, et débattait devant elle la commande d’une robe ou d’un chapeau, dont il eût été si facile de se passer ! Qu’était cette dépense, qui lui avait toujours été