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jeune fille, l’étouffement de sa voix trahissait une telle secousse intérieure, que l’implacable femme en fut pourtant saisie. Ce n’était pas un monstre, que la « belle Mme Le Prieux », quoique son exploitation prolongée du travail de son mari, au profit de sa vaine passion de luxe, fût toute voisine d’être féroce, et bien près aussi d’être féroce son présent procédé pour forcer sa fille à un mariage cruellement utilitaire. C’était simplement une conscience viciée par les germes de corruption qui se respirent dans l’atmosphère du monde — corruption à laquelle la morale courante, uniquement occupée des fautes de galanterie, prend à peine garde. Mme Le Prieux se croyait une honnête femme, et elle l’était, au sens où l’on prend d’ordinaire ce mot. En revanche, le monde avait complètement aboli chez elle, par l’abus quotidien des compromis, cette noble vertu de la véracité intransigeante, qui ne lui eût pas permis de cacher à son mari et à sa fille la démarche de Mme Huguenin. Mais lorsqu’on a passé des années à bien accueillir qui l’on méprise, à complimenter qui l’on hait, comment et pourquoi hésiterait-on à pratiquer, pour un motif que l’on juge bienfaisant à ses proches, la vieille et commode maxime que le but justifie les moyens ? Lorsqu’on a, pendant ces mêmes, années, rencontré sans cesse, derrière les moindres actes de la vie, l’argent et encore l’argent, que l’on a vu autour de soi ce tout-puissant argent uniquement et constamment respecté, comment et pourquoi ne ferait-on pas de la fortune la condition suprême du