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était de travailler au bonheur de Reine. Au demeurant, était-elle coupable de concevoir ce bonheur d’après sa propre nature ? L’était-elle, considérant son mari comme un chimérique et comme un faible, qu’elle avait dû protéger, de ne pas le consulter dans une décision dont les vrais motifs ne pouvaient, ne devaient pas être connus de lui ? Elle allait les dire à sa fille, ces vrais motifs, et cette part de franchise faisait, à ses propres yeux, une compensation au silence qu’elle gardait sur un autre point. — « Mon enfant, » commença-t-elle donc, après avoir constaté que les prunelles brunes de Reine restaient, comme d’habitude, impénétrables sous les siennes : « il faut que je reprenne les choses de loin. Tu comprendras tout à l’heure pourquoi… » Puis, sur un silence : « Lorsque j’ai épousé ton père, tu sais que nous n’étions pas riches, et tu sais aussi pourquoi. Nous l’aurions été, si ton grand-père avait fait comme tant de financiers d’aujourd’hui, qui se retrouvent un peu plus millionnaires après chaque faillite. C’était un grand honnête homme, vois-tu, et, grâce à lui, grâce à ta grand’-mère aussi, nous pouvons regarder n’importe qui bien en face… Nous n’avons pas fait tort d’un centime à qui que ce fût, dans notre désastre… Ton père et moi, nous sommes donc entrés en ménage avec juste de quoi ne pas mourir de faim. Oui, c’est de là que nous sommes partis pour arriver à la position de monde qui est la nôtre aujourd’hui, la nôtre, et par conséquent la tienne. Ah ! Je peux me rendre la justice que je n’ai travaillé qu’à