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intuition, il poussa un soupir, ouvrit son encrier, et se mit en devoir d’écrire en se disant : — « Il n’y a qu’une mère pour connaître sa fille. Attendons qu’elles aient causé… » Tandis que le papier grinçait sous sa plume enfin lancée, les deux femmes causaient en effet, à quelques pas de lui, dans la chambre à coucher de Mme Le Prieux, séparée de l’étroit cabinet de travail par le cabinet de sommeil, plus étroit encore, du manœuvre littéraire. Certes, cette plume infatigable lui fût tombée des mains de stupeur si, les minces cloisons s’abattant soudain, il avait surpris, dans sa vérité cruelle, la conversation de la mère et de la fille. Celle-ci, pour la première fois depuis bien longtemps, depuis l’époque où sa pitié pour la servitude de son père avait commencé de s’éveiller, était entrée dans la chambre de Mme Le Prieux, confiante, l’âme ouverte, sa tendresse d’enfant reconnaissante au bord de ses yeux, prête à s’épancher en larmes de joie, l’aveu de son naïf amour au bord de ses lèvres… Et, tout de suite, ce premier élan avait été, non pas brisé, mais comme arrêté, rien qu’à rencontrer le regard du despote domestique dont son avenir de cœur dépendait. Au moment de la survenue de la jeune fille, Mme Le Prieux se trouvait dans son lit, s’étant recouchée comme elle faisait chaque jour, pour ne se lever que tard dans la matinée, après son bain, qu’elle prenait dans des conditions de température et de durée fixées par son médecin. L’esprit de réalisme particulier aux Méridionaux, gens si positifs pour tout ce