pouvais aller au journal, corriger pour vous vos épreuves… » — « Il ne manquerait plus que cela, » reprit gaiement le père, « mais je perds mon temps à bavarder. J’ai beaucoup de besogne aujourd’hui ; » et, montrant un paquet de journaux qu’il tenait à la main : « Je viens de les parcourir tous, en faisant ma toilette. Il n’y a pas un sujet là-dedans, et c’est mon jour de Clavaroche. » Puis avisant un paquet de lettres sur la table, son courrier du matin : « Heureusement, il y aura bien quelque brave correspondant pour me venir en aide… Et toi, » continua-t-il, « mademoiselle Moigne, la maman t’attend. Elle a quelque chose de grave à te communiquer… Ne dis pas que je te l’ai dit… Mais tâche, en lui répondant, de bien savoir ce que tu veux… Ne me demande rien. Souviens-toi seulement de ce beau mot de Gœthe que je t’ai souvent cité : — Nous sommes libres de notre première action. Nous ne le sommes pas de la seconde… — Nous disons cela plus simplement à Chevagnes : Qui ne se mêle ne se démêle. — Allons, embrasse-moi, ma chère, chère enfant… » Quoique la douce et silencieuse Reine, habituée à vivre beaucoup sur elle-même et à endolorir sa sensibilité par ses réflexions, n’eût pas cette légèreté d’âme si naturelle à son âge, allègre et facile à l’espérance, comment n’eût-elle pas embrassé son père avec une infinie gratitude, et interprété en une promesse heureuse cette allusion transparente à une demande en mariage ? Sans nul doute la lettre
Page:Bourget - Drames de famille, Plon, 1900.djvu/164
Cette page n’a pas encore été corrigée