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vie. Cette petite fièvre d’amour et d’espérance qui la soulevait depuis la conversation du bal n’allait pas, comme on pense, sans des impressions contradictoires. C’étaient justement ces impressions qui, par ce matin de janvier, rendaient la jeune fille si nerveuse devant le portrait de son père, tandis qu’elle achevait de disposer, suivant son habitude, la table du martyr de la copie. Elle sentait trop, qu’elle partie, la solitude du journaliste serait bien complète, et, comme c’était le sixième jour maintenant depuis le bal et que la lettre de Mme Huguenin à Mme Le Prieux devait être arrivée, elle songeait : — « Pauvre cher Pée, » se disait-elle, en employant, pour se parler à elle-même de son père, la jolie petite abréviation patoise qu’il lui avait apprise, « c’est mal pourtant de désirer le quitter. Qui lui arrangera ses papiers juste comme il veut, quand je ne serai plus là ? Maman ne saurait pas. Et puis, elle ne peut pas se lever si matin. Avec qui parlera-t-il de ses projets ? Qui l’encouragera à écrire au moins son livre sur la poésie du Bourbonnais ?… » C’était, en effet, un des projets caressés par l’écrivain. Cette humble ambition était sa dernière rêverie d’artiste ! N’espérant plus jamais trouver le loisir d’une œuvre d’imagination, ni cette élasticité intérieure nécessaire aux vers et au roman, il avait commencé de s’atteler à un minutieux ouvrage d’érudition, qui satisfaisait, à la fois, son besoin d’un travail non mercenaire et son goût ancien, et toujours persistant, pour la littérature de