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jeune fille, et qui avait envahi leurs deux âmes en les enveloppant comme d’une atmosphère, sans aucune parole trop précise, aucun regard trop brûlant, aucune pression de main trop vibrante. Et quand la minute était arrivée du définitif aveu, il leur avait semblé, tant ils étaient sûrs du cœur l’un de l’autre, qu’ils s’étaient dit depuis longtemps, depuis toujours qu’ils s’aimaient. Cet inévitable aveu, qui devait bouleverser les savantes combinaisons de ces deux Machiavels en jupon, Mme Le Prieux et Mme Faucherot, et de ce troisième Machiavel en habit noir, le subtil Crucé, s’était échangé la semaine précédente seulement. La chose s’était faite dans ces conditions de demi-badinage que comportait l’amicale, la fraternelle familiarité des rapports entre les deux cousins. C’était dans un grand bal, chez le directeur d’une banque, où Mme Le Prieux avait fait inviter le jeune homme, qui, depuis quelque temps, devenait moins sauvage. La mère aveuglée, comme le sont souvent les parents, par ses idées préconçues sur le caractère de sa fille, s’en était félicitée le soir même auprès de celle-ci. Et Reine, en s’appuyant au bras de son cousin pour aller au buffet, après une contredanse, lui avait rapporté cet éloge maternel : — « Alors, » avait demandé Charles tout d’un coup « vous croyez que je ne lui suis plus antipathique ?… » — « Vous ne le lui avez jamais été, » avait répondu vivement Reine, « mais à présent, vous êtes tout à fait grand favori. Je vais devoir implorer