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des Brandes, ces Rondes Bourbonnaises et ce Rossigneu que la douce enfant était bien seule à jamais relire et admirer. Ce n’était pas un bas-bleu que Reine, et elle n’était pas capable de juger ces faibles poèmes et ce peu original roman. Elle les feuilletait, avec la partialité passionnée d’un être qui aime. Elle ne savait rien au monde qui lui parût plus beau, — plus beau et plus poignant. Car, si elle ne possédait pas assez de sens critique pour discerner les insuffisances de ces premiers essais, son cœur lui faisait sentir, avec la plus douloureuse lucidité, quelles mutilations leur auteur avait dû exécuter sur lui-même pour devenir le tâcheron littéraire qu’il était devenu. Par quel miracle d’affection la silencieuse créature, si naïve, si peu expérimentée, avait-elle deviné ce drame caché de la vie de l’artiste déchu, que celui-ci ne se racontait pas à lui-même ? Les ressemblances de sensibilité entre un père et une fille produisent de ces phénomènes de double vue morale. Le père éprouve d’avance les chagrins qui menacent seulement sa fille. La fille plaint son père de tristesses qu’il subit sans vouloir les admettre, et c’est bien pour cela que, durant ces visites matinales au laboratoire de copie, Reine détournait toujours ses yeux d’un autre portrait, celui de sa mère, posé sur le bureau, et qui la représentait vraiment en « belle Mme Le Prieux », dans un costume de princesse de la Renaissance, qu’elle avait porté avec un succès éclatant, à une fête parée. La grande photographie, qu’un verre protégeait et qu’encadrait une bordure