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tristesse des yeux de cette charmante enfant venait d’une pitié profonde, infinie, pour lui, pour son existence de forçat littéraire, esclavage, — par quoi et par qui ? Répondre à cette question, c’eût été condamner quelqu’un, qu’il aimait avec cette tendresse passionnée, qui ne juge pas, fût-ce devant l’évidence ; et, ce qui achevait de lui rendre plus douloureux encore l’inconnu de ces pensées et de ces sentiments de sa fille, c’était précisément la crainte qu’il ne fût pas seul à en soupçonner la nature. C’est pour cela que cette phrase de sa femme l’avait fait tressaillir, et qu’il répondit avec un sourire contraint, en essayant de feindre une indifférence qui n’était pas dans son cœur : — « Ce qu’elle m’a dit ?… Mais absolument rien… Ne t’imagine pas qu’elle s’ouvre avec moi plus qu’avec toi. D’ailleurs à quel moment pourrait-elle me faire des confidences ? Je ne la vois quasi jamais seule… Mais à défaut de confidences j’ai… » — Une évidente gêne lui faisait chercher ses mots. Il répéta : « Oui, à défaut de confidences, j’ai des impressions, et, puisque nous sommes sur ce chapitre, j’avais cru remarquer que, si elle distinguait quelqu’un, ce n’était certes pas Faucherot… » — « Et qui serait-ce ?… » interrogea vivement la mère. — « Ce serait son cousin Huguenin, » répondit Le Prieux, et, comme se défendant du manque de confiance qu’impliquait sa discrétion sur un pareil secret : « Je te répète que c’est une hypothèse gratuite, que Reine ne m’en a jamais, jamais parlé,