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la bonne comtesse nous aimait tant !… Le hasard veut que, vers onze heures, avant de me costumer moi-même, je passe au journal, et qui trouvé-je, au milieu des reporters ébahis ? Mon Jacques Molan, habillé en ours, le museau rabattu par-dessus sa tête, comme un capuchon, et il prenait son grand air ennuyé pour débiter aux pauvres petits camarades : « Il n’y a pas eu moyen de dire non à la comtesse, elle a trop insisté… Ah ! mes amis, quel dur métier que d’être un homme du monde !… » Ces deux formules : « Reine n’est pas assez jeune… Reine s’amuse silencieux… » résumaient, dans leur expression familière, des centaines de conversations que M. et Mme Le Prieux avaient eues sur leur enfant. Ces entretiens d’un ordre si délicat, si grave aussi, — puisqu’il s’agissait du caractère, et, par conséquent, des chances de bonheur ou de malheur promises à leur fille unique, — avaient lieu d’ordinaire dans le coupé qui les ramenait d’une « première », où ils n’avaient pu la conduire. C’étaient les seuls instants de tête-à-tête qu’eussent ces époux, très unis pourtant, du moins qui se croyaient très unis. Mais, entre les corvées du monde, pour la femme, et, pour le mari, les corvées de copie, à quelle heure auraient-ils pu causer longuement et intimement ? La nécessité où se trouvait le courriériste dramatique de rester sans cesse à son journal jusqu’à plus d’une heure du matin, pour y improviser son article ou pour l’achever, quand il l’avait commencé sur la répétition générale,