singulière de son regard ? Avait-elle, si jeune encore, traversé quelque mystérieuse épreuve et subi une de ces déceptions sentimentales qui, pour être surtout imaginatives, n’en atteignent pas moins profondément une âme adolescente ? Etait-ce simplement la lassitude toute physique d’une enfant, déjà surmenée par l’abus de la vie mondaine ? Quand on parlait de Reine à sa mère, en lui demandant des nouvelles de sa santé avec quelque intérêt, celle-ci répondait : — « Elle est un peu pâlotte, n’est-ce pas ? Elle se développe lentement. Mais c’est sa nature comme ça. Elle n’a pas été malade deux jours depuis son enfance… » Et il lui arrivait, quand elle était en confiance, d’ajouter : — « Ce n’est pas parce que c’est ma fille, mais c’est la perfection sur la terre. Je n’ai jamais eu un mot à lui dire plus haut que l’autre depuis que je la connais. Je ne lui fais qu’un reproche : c’est d’avoir toujours été trop sage. Elle n’est pas jeune… Moi. à son âge, le bal me rendait folle de plaisir. Il m’amuse encore… Elle, elle y va comme elle faisait, toute petite, ses pages d’écriture. On dirait que c est par devoir. Son père était comme cela, autrefois. Je dois dire qu’il a bien changé… Reine changera aussi. Mais, pour le moment, rien ne l’amuse… C’est extraordinaire… » Et la « belle Mme Le Prieux » avait, dans les yeux, une espèce d’étonnement mêlé d’orgueil. On devinait, dans le redressement de son buste, impeccablement
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