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à une jeune fille, — une pièce à mariages, comme on dit, — la « belle Mme Le Prieux » amener avec elle, dans sa loge, une fine et jolie personne, mise presque exactement comme elle et lui ressemblant, de loin, comme une petite sœur cadette, un peu une Cendrillon. C’était sa fille, cette Reine dont la naissance avait failli lui coûter la vie. Comme la plupart des enfants nés d’une mère trop éprouvée par la grossesse, Reine avait en elle quelque chose de délicat, de presque gracile, qui contrastait avec l’opulente beauté de cette mère, dont la quarantième année étalait des majestés de Junon. Elle, à vingt et un ans, en paraissait à peine dix-huit. Elle était toute fraîche et frêle à la fois, avec des épaules et un buste minces, comme si quelque chose empêchait le plein épanouissement de son être physique, tandis que son regard, trop pensif dans son enfantin visage, avait une précocité d’expression inquiétante. Elle tenait, de sa mère, la longue forme de la tête, le profil droit, les traits réguliers ; mais ce beau type de pure race était chez elle comme effacé, comme atténué, et, sous ses sourcils nettement arqués, elle montrait, au lieu des noires prunelles méridionales et brillantes de Mme Le Prieux, les prunelles brunes et réfléchies de son père. De ce père elle avait aussi les cheveux châtains et la bouche aux lèvres doucement renflées, avec un pli de rêverie triste dans les coins. Jamais le mélange de deux sangs ne fut plus visible. Etait-ce aux hésitations intimes, aux contrastes secrets d’un atavisme par trop double, que Mlle Le Prieux devait la mélancolie