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entrant dans le journalisme et auquel il demeurait fidèle se réalisait point par point. Il recueillait le fruit de cette qualité qui, dans tous les métiers, assure le succès : la conscience technique. En même temps que la constante apparition de son nom au bas d’articles, tous soigneusement écrits et pensés, lui apportait la notoriété, il acquérait ce mystérieux pouvoir qui s’appelle l’autorité, par ce soin même, par l’équité modérée de ses jugements sur les choses et les gens, par l’exactitude de sa documentation. Un mot dira tout à ceux qui connaissent l’incroyable légèreté avec laquelle se bâclent les journaux : Hector n’avait jamais parlé d’un livre sans l’avoir feuilleté. En outre, malgré sa chance évidente, il avait eu, dans ses débuts, le don de ne pas exciter l’envie. Cette obscure et implacable passion, le fléau de l’existence littéraire, a cette étrange perspicacité de s’attacher bien moins aux succès qu’aux personnes. L’homme de grand talent n’envie pas l’homme d’un talent moyen qui réussit où lui-même échoue, et c’est l’homme d’un talent moyen qui, en plein triomphe, enviera l’autre dans son insuccès. Nous ne jalousons jamais vraiment et avec le désir de leur faire du mal ceux à qui nous nous croyons in petto supérieurs. C’était la force de Le Prieux dans ce commencement de carrière : ni littérairement, ni physiquement, ni socialement, il n’humiliait qui que ce fût. Les envieux devaient venir plus tard, avec les belles relations, les toilettes de madame et le coupé au mois. Bref, l’entrée d’Hector dans la critique dramatique