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son innocence, elle de la réserve que sa raison lui avait imposée, par une impression aussi délicieuse que rare : ils jouissaient de l’intimité du cœur, qui ne s’obtient d’ordinaire qu’après une longue possession, et ils en jouissaient dans la fraîcheur du désir timide. Mais ce désir timide avait pour arrière-fonds chez tous les deux une enivrante certitude, perspicace chez Thérèse, obscure encore chez Hubert, et c’était dans un vaste et noble paysage qu’ils promenaient ces sensations rares. Ils suivaient donc cette route de Folkestone à Hythe, mince ruban qui court au long de la mer. La verte falaise est sans rochers, mais sa hauteur suffit pour donner au chemin qu’elle surplombe cette physionomie d’asile abrité, reposant attrait des vallées au pied des montagnes. La plage de galets était recouverte par la marée haute. Le large Océan remuait, sans qu’un oiseau volât au-dessus des lames. Son immensité verdâtre se fonçait Jusqu’au violet à mesure que le jour tombant assombrissait l’azur froid du ciel. La voiture allait vite sur ses deux roues, traînée par un cheval fortement râblé, que son mors trop dur forçait par instants à relever la tête en tordant la bouche. Thérèse et Hubert, serrés l’un contre l’autre dans la petite guérite roulante ouverte à moitié, se tenaient la main sous le