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IV

UN RÊVE VÉCU


Le paquebot approchait de la jetée de Folkestone. La mer toute verte, à peine striée d’écume d’argent, soulevait la coque svelte. Les deux cheminées blanches lançaient une fumée qui s’incurvait en arrière sous la pression de l’air déchiré par la course. Les énormes roues, toutes rouges, battaient les lames, et, derrière le bateau, se creusait un mouvant sillage, sorte de chemin glauque et frangé de mousse. C’était par un jour d’un bleu tiède et voilé, comme il en fait parfois sur la côte anglaise dans les fins d’hiver, —jour de tendresse et qui s’associait divinement aux pensées du jeune homme. Il s’était accoudé sur le bastingage de l’avant, et il n’en avait pas bougé depuis le commencement de la traversée, laquelle avait été d’une rare douceur. Il voyait maintenant les moindres détails de l’approche du port : la ligne crayeuse de la côte à droite, avec son revêtement de maigre gazon ; à gauche, la jetée soutenue par