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les emplettes portatives révélait que Thérèse avait pris chez le libraire le roman à la mode. Au dehors, c’était, dans les rues, où les lumières commençaient de s’allumer, le déchaînement d’un glacial orage d’hiver. Thérèse, enveloppée d’un long manteau qui dessinait sa taille, se taisait. Au triple reflet des lanternes de la voiture, du gaz de la rue et du jour mourant, elle était si adorablement pâle et belle, qu’à bout d’émotion Hubert lui prit la main. Elle ne la retira pas. Elle le regardait avec des yeux immobiles, comme noyés de larmes qu’elle n’eût pas osé répandre. Il lui dit, sans même entendre le son de ses propres paroles, tant ce regard le grisait : « Ah ! comme je vous aime !… » Elle pâlit davantage encore, et elle lui mit sur la bouche sa main gantée pour le faire taire. Il se mit à baiser cette main follement, en cherchant la place où l’échancrure du gant permettait de sentir la chaleur vivante du poignet. Elle répondit à cette caresse par ce mot que toutes les femmes prononcent dans des minutes pareilles, mot si simple, mais dans lequel tant d’inflexions se glissent, depuis la plus mortelle indifférence jusqu’à la tendresse la plus émue : — « Vous êtes un enfant… » Il l’interrogea : — « M’aimez-vous un peu ?… » Et alors, comme elle le regardait avec ces mêmes yeux par