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profil passait et repassait devant ses regards au gré des mouvements du wagon, se détachant tour à tour sur les bois, sur les coteaux et sur les dunes. Combien d’images emporte ainsi un train qui fuit, et, avec elles, combien de destinées, précipitées vers le bonheur ou vers le malheur, dans le lointain et l’inconnu !… C’est au commencement du mois d’octobre de l’année précédente qu’Hubert avait vu Mme de Sauve pour la première fois. À cause de la santé de Mme Liauran, que le moindre voyage eût menacée, les deux femmes ne quittaient jamais Paris ; mais le jeune homme allait parfois, durant l’été ou l’automne, passer une moitié de semaine dans quelque château. Il revenait d’une de ces visites, en compagnie de son cousin George. À une station située sur cette même ligne du Nord qu’il suivait maintenant, il avait, en montant dans un wagon, rencontré la jeune femme avec son mari. Les de Sauve étaient en relations avec George, et c’est ainsi qu’Hubert avait été présenté. M. de Sauve était un homme d’environ quarante-sept ans, très grand et fort, avec un visage déjà trop rouge et les traces, à travers sa vigueur, d’une usure qui s’expliquait, rien qu’à écouter sa conversation, par sa manière d’entendre la vie. Exister, pour lui, c’était se prodiguer, et il réalisait ce programme