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voyage. Et cependant, lorsqu’il fut monté, au surlendemain de ce soir, dans le train qui l’emportait vers Boulogne, il lui fut impossible de ne pas se sentir l’âme comme noyée dans une félicité divine. Il ne se demandait pas si le comte Scilly parlerait ou non de sa démarche ; il écartait cette appréhension, comme il éloignait le souvenir des yeux de Mme Liauran à l’instant de son départ, comme il étouffait les scrupules que pouvait lui donner sa piété intransigeante. S’il n’avait pas menti absolument à sa mère en lui disant qu’il allait rejoindre à Londres son ami Emmanuel Deroy, il avait pourtant trompé cette mère jalouse en lui cachant qu’à Folkestone il retrouverait Mme de Sauve. Or, Mme de Sauve n’était pas libre. Mme de Sauve était mariée, et pour un jeune homme élevé comme l’avait été le pieux Hubert, aimer une femme mariée constituait une faute inexpiable. Hubert devait se croire et se croyait en état de péché mortel. Son catholicisme, qui n’était pas une religion de mode et d’attitude, ne lui laissait aucun doute sur ce point. Mais, religion, famille, devoir de franchise, crainte de l’avenir, ces nobles fantômes de la conscience ne lui apparaissaient qu’à l’état de fantômes, vaines images sans puissance et qui s’évanouissaient devant l’évocation vivante de