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au comte plus saisissante encore ce soir, de même que l’inquiétude de la physionomie de la fille. Quoique Mme Liauran eût quarante ans passés, pas un fil d’argent ne se mêlait encore à ses bandeaux noirs, qui couronnaient un visage, fané sans être flétri, où les traits de sa mère se retrouvaient, mais émaciés davantage et endoloris. Une maladie nerveuse la tenait presque toujours couchée sur sa chaise longue, qui faisait, ce soir-là, exactement face à la bergère de Mme Castel, de sorte que le général, en quittant le salon, avait pu voir à la fois les deux femmes et sentir confusément que sur la seconde pesait un double veuvage. Non. Il n’y avait plus dans cette créature de quoi supporter la vie sans en saigner. Pour Scilly, qui connaissait dans quelle atmosphère de tendresse et de chagrin la seconde Marie-Alice avait grandi, avant d’entrer elle-même dans une atmosphère de nouvelles peines, cette sorte de redoublement de veuvage expliquait trop l’exagération, chez la fille, d’une sensibilité déjà aiguë chez la mère. Mais aussi n’y avait-il pas des années que la mélancolie des deux veuves s’égayait, ou plutôt se parait, de la présence d’un enfant, de cet Alexandre-Hubert Liauran, né quelques mois avant la guerre d’Italie, charmant être, un peu trop frêle au gré de son parrain, le général, qui