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Que faisait donc Thérèse, et comment n’avait-elle tenté aucun effort pour revoir celui qu’elle aimait ? Quelles idées, quelles sensations avait-elle traversées depuis la terrible scène qui l’avait séparée d’Hubert ? Pour elle aussi les journées avaient succédé aux journées ; mais tandis que le jeune homme, en proie à une métamorphose d’âme provoquée par la plus inattendue et la plus tragique déception, les laissait s’en aller, ces journées, rapides et brûlantes, passant d’une extrémité à l’autre de l’univers du sentiment, — elle, la coupable ; elle, la vaincue, s’absorbait en une pensée unique. En cela pareille à toutes les femmes qui aiment, elle aurait donné les gouttes de son sang, les unes après les autres, pour guérir la douleur qu’elle avait causée à son amant. Ce n’est pas que les détails visibles de son existence fussent modifiés. Sauf la première semaine, durant laquelle une continue et lancinante migraine l’avait, pour ainsi dire, terrassée, contrecoup peut-être salutaire de tant d’émotions ressenties, elle avait repris son métier de femme à la mode, son train accoutumé de courses et de visites, de grands dîners et de réceptions, de séances au théâtre ou dans les soirées. Mais ce mouvement extérieur n’a jamais plus empêché le rêve que ne fait le travail de l’aiguille à tapisserie.