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moment. Puis il se méprisait de cette faiblesse, et, pour se réconforter, il se répétait quelques vers qui correspondaient à son état d’esprit. Il les avait trouvés, étrange ironie de la destinée qu’il ne soupçonnait pas, dans l’unique recueil de poésies de Jacques Molan. Ce volume, réimprimé depuis que les romans de high life du poète l’avaient rendu célèbre, s’appelait d’un titre qui, à lui seul, révélait la jeunesse : les Premières Fiertés. Hubert avait dîné avec l’écrivain chez Mme de Sauve, sans se douter que la pauvre femme éprouvait un frisson d’horreur, ainsi contrainte par son mari de recevoir à sa table l’amant qu’elle idolâtrait et celui avec qui elle avait rompu. Molan avait causé avec esprit ce soir-là, et c’est à la suite de ce dîner que le jeune homme, par une curiosité très naturelle, avait pris chez un libraire le livre de vers. Le poème qui lui plaisait aujourd’hui était un sonnet, assez prétentieusement appelé Cruauté tendre :

<poem>Tais-toi, mon cœur ! Orgueil féroce, parle, toi ! Dis-moi qu’où j’ai passé je dois seul rester maître Et ne point pardonner qui m’osa méconnaître Jusqu’à dormir au lit d’un autre, étant à moi. Du moins je l’aurai vue, aussi muet qu’un roi, Se traîner à mes pieds et, du fond de son être. Pleurer, chercher mes yeux, où j’ai pu ne rien mettre ; Et je m’en suis allé sans avoir dit pourquoi.</poem