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la face un afflux de sang. Il mangeait posément et beaucoup, avec une lenteur puissante. Il riait haut. Ses mains, qui tenaient la fourchette et le couteau, étaient fortes et montraient chacune deux bagues. Sur son front, que des boucles courtes découvraient dans son étroitesse, jamais une flamme de pensée n’avait brillé. Cela faisait un ensemble qui, même au regard hostile d’Hubert, ne manquait pas d’une beauté mâle et saine ; mais c’était la beauté brutale d’un être de chair et de sang, sur le compte duquel il était impossible qu’une personne délicate se fît illusion une heure. Dire d’une femme qu’elle s’était donnée à cet homme, c’était dire qu’elle avait cédé à un instinct d’un ordre tout physique. Plus Hubert s’identifiait à ce tempérament par l’observation, plus cela lui devenait évident. Il interprétait la nature de Thérèse à cette minute mieux qu’il ne l’avait jamais fait. Il en saisissait l’ambiguïté avec une certitude affreuse ; et c’est alors que s’éleva dans son cœur le plus triste, mais aussi le plus noble des sentiments qu’il eût éprouvés depuis son aventure, le seul qui fût vraiment digne de ce qu’avait été autrefois son âme, celui par lequel l’homme trouve encore, devant les perfidies de la femme, de quoi ne pas se perdre tout à fait le cœur : — la pitié. Un attendrissement, d’une amertume