Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/176

Cette page n’a pas encore été corrigée

ressenti, comme ce jour-là, l’impression qu’il y aurait entre eux dorénavant, même s’ils se parlaient, un silence impossible à briser, quelque chose qui ne se formulerait pas et qui mettrait, pour bien longtemps, un arrière-fonds de mutisme sous leurs plus cordiales expansions. Quand, après le déjeuner, Hubert, qui n’avait fait que toucher aux plats, prit le bouton de la porte pour sortir du petit salon où il s’était à peine tenu cinq minutes, sa mère éprouva un désir timide et presque repentant de lui demander pardon pour la peine qu’elle lisait sur son visage taciturne.

— « Hubert ? » dit-elle.

— « Maman ? » répondit-il en se retournant.

— « Tu vas tout à fait bien aujourd’hui ? » interrogea-t-elle.

— « Tout à fait bien, » répondit-il d’une voix blanche, — une de ces voix qui suppriment du coup toute possibilité de conversation ; et il ajouta : « Je serai exact à l’heure du dîner, ce soir. »

Une préoccupation singulière s’était emparée du jeune homme. Après une nuit d’une torture si continûment aiguë qu’il ne se souvenait pas d’avoir jamais rien subi de pareil, il était redevenu maître de lui. Il avait traversé la première crise de son chagrin, celle après quoi l’on ne meurt plus