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vraiment vécu sa vie, oasis de rêve vers laquelle la malheureuse allait à présent comme vers un cimetière. Il devait y avoir de l’orage dans la journée, car l’atmosphère de ce matin d’automne était lourde et toute chargée d’une torpeur électrique, dont l’influence exaspérait encore ces nerfs malades de femme. Elle ne dit pas à son cocher, comme elle faisait toujours, de pousser la voiture dans l’allée ; car la maison avait deux issues, et la porte cochère grand ouverte lui permettait d’arriver avec le fiacre devant la porte même de l’appartement sans être vue du concierge, dont la discrétion était d’ailleurs garantie par les profits que rapportait la liaison de l’ami de son locataire. Tout le long du chemin, elle avait fixé les yeux sur les moindres détails des rues successivement traversées ; elle les connaissait si bien, depuis les enseignes des boutiques jusqu’à la physionomie des maisons, parce que ces images étaient associées aux plus heureux souvenirs de son trop court roman. Elle leur disait en pensée le même adieu funèbre qu’à son bonheur. Elle aussi, en proie aux hallucinations de l’épouvante, et ne distinguant plus le possible du réel, elle ne doutait plus qu’Hubert ne sût tout. Elle relisait le billet reçu la veille et dont chaque mot, pour elle qui connaissait si bien le caractère du jeune