Page:Bourget - Cruelle Énigme, Plon-Nourrit.djvu/151

Cette page n’a pas encore été corrigée

eussent été réelles et qu’elle eût eu le courage de leur survivre. Elle se rappelait avoir conduit Hubert à la gare, en dépit de toutes les prudences. Elle l’avait vu disparaître du côté de Londres, penché à la portière du wagon pour la regarder plus longtemps. Elle était rentrée dans l’appartement qu’ils avaient occupé tous les deux, avant de prendre elle-même le train de Douvres. Elle avait passé là deux heures dans le mortel abandon d’une âme comblée de désespoir à la fois et de félicité. Sous le poids des souvenirs, cette âme penchait, comme les fleurs chargées de trop de parfums qui se mouraient autour d’elle, maintenant, dans les vases. C’est qu’elle avait connu là une complète union de ses deux natures, la vibration presque affolante de son être entier.

Elle s’était à demi pardonné son passé en s’excusant elle-même par cette phrase qu’elle disait mentalement à Hubert, comme tant de femmes l’ont dite tout haut à des hommes jaloux d’un autrefois qui fut à d’autres : « Je ne te connaissais pas ! » Rentrés à Paris ensuite, durant le printemps et l’été, qu’elle s’était soigneusement, pieusement, appliquée à vivre de manière à ne pas démériter de lui une seule minute ! Elle avait retrouvé toutes les pudeurs que comporte l’amour complet, mais ennobli par l’âme. Elle tremblait