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et par un mirage familier à toutes les mères, comme à tous les pères, elle ne se rendait pas un compte exact du changement d’âme accompli dans son fils. Elle le revoyait toujours tel qu’enfant elle l’avait connu, se rapprochant d’elle à la moindre de ses peines. Il lui semblait, par une fausse logique de sa tendresse, qu’une fois l’obstacle enlevé qui les avait séparés, ils se retrouveraient en face l’un de l’autre et les mêmes qu’auparavant. Sa première pensée fut de l’envoyer aussitôt chez George ; puis elle réfléchit, avec son délicat esprit de femme, qu’il y aurait là pour lui une inévitable blessure d’amour-propre. Elle eut donc recours, encore une fois, à la vieille amitié du général Scilly, à qui elle demanda de tout raconter au jeune homme.

— « Vous me donnez là une commission terriblement difficile, » répondit ce dernier quand elle lui eut tout expliqué. « J’obéirai, si vous l’exigez. Mais, croyez-moi, il vaudrait mieux vous taire. J’ai traversé cela, moi qui vous parle, » ajouta-t-il, « et dans des conditions presque pareilles. Une gueuse est une gueuse, et toutes se ressemblent. Mais le premier qui m’en aurait touché un mot aurait passé un mauvais quart d’heure. On n’a pas eu à m’en parler, d’ailleurs. J’ai tout su moi-même. »