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le crépuscule des dieux

venait lui faire obstacle, et voulait briser les horloges qui le rappelaient à ses leçons. Robuste et souple, les yeux verts, des cheveux roux crépus qui bouffaient à l’excès, il montrait dans son front bas et bombé, dans ses narines dilatées, dans ses énormes mâchoires, dont la supérieure emboîtait presque celle de dessous, tout ce qu’il avait d’instincts grossiers, farouches, passionnés. Il ne s’occupait qu’à la lutte, à la savate et aux coups de poing. Espèce de démon domestique, sa joie était de maltraiter chiens, marmitons, valets d’écurie, et jusqu’aux lingères de l’hôtel, car il affichait pour les femmes le mépris dû à leur pusillanimité et à leur faiblesse.

Une pourtant, de ses froids yeux bleus, avait dompté le jeune monstre. La Belcredi lui avait inspiré un sentiment inconnu et profond. À Francfort, au moment du départ, Otto se glissant près d’elle, était tombé à ses genoux, avait roulé sa tête frénétiquement dans les jupes de la chanteuse, puis avait fui. Il rêvait à elle, souvent encore ; cette sensation brûlante lui restait au cœur, si bien qu’un jour il parla à son père de la dame qu’ils avaient emmenée, celle qui chantait, vêtue de blanc.

— Ah ! la Belcredi ! fit le Duc…

Et la stupeur d’un si complet oubli ne lui laissa pas ajouter une parole. Elle lui avait plu cependant, lui, à qui les femmes ne plaisaient guère,