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le crépuscule des dieux

Il fit au duc Charles, assez roidement, une orgueilleuse révérence, à quoi Son Altesse répondit par une inclination de corps. Tous se penchaient pour le mieux voir, avec quelque réserve pourtant, la jalousie du Duc souffrant d’une attention qui ne lui était pas consacrée. Le silence enfin se rétablit. Wagner venait de monter au pupitre. Il s’assit, rassembla d’un geste impérieux les musiciens sous son archet, passa sur eux un coup d’œil pénétrant, — ce qu’ils allaient jouer d’abord, selon un caprice de Charles d’Este, c’était la symphonie qui ouvre Tannhaüser, — et soudain, donna le signal.

Les cuivres partirent, entonnant le fameux chœur des Pèlerins. Il décrut, s’enfonça au lointain, et de mornes bouffées de sons où l’hymne flottait en vagues soupirs, s’épandaient comme la mélancolie d’un crépuscule. Voici venir la nuit, une nuit de magie et d’enchantement, la nuit du Venusberg, le mont où la déesse retient captif le chevalier. On entendit un chant d’amour, puis, la Bacchanale éclata ; toutes les voix de l’orchestre tonnèrent, et ce fracas passait comme le souffle même de la Grotte de beauté, comme la trombe harmonieuse, où était emporté, dans une éternelle tempête d’amour, l’inquiet chevalier, Tannhaüser. Et, si blasé que fût le Duc, quoiqu’il crût indigne de lui de se laisser toucher par les pensées d’un autre homme, un peu d’orgueil lui haussa le cœur. Il promena ses yeux avec fierté sur la multitude